La maladie des tablettes 

Cet article est la quatrième partie de : UX — Distributeurs automatiques, un voyage dans le temps.


Jusqu’au jour où en revenant de voyage, je remarque un changement dans le paysage chahuté de la gare de Lille Europe. Au loin, un nouveau venu dans le monde des distributeurs automatiques, plus imposants qu’à son habitude et arborant fièrement, lui aussi un écran tactile, certes plus petit, mais cela ne me choque pas, nous ne sommes pas en Asie après tout.

L’espoir de vivre enfin une meilleure expérience avec un distributeur automatique dans nos contrées m’envahit. Pressé par le temps, je ne peux malheureusement que l’observer de loin, dans l’attente de recroiser son chemin et de prendre le temps de m’y attarder et le décortiquer.

Image provenant du site de Selecta.fr

Désenchantement

L’occasion se présente enfin, après une journée d’ateliers aux Interactions Days de Lyon début février 2018. En attendant le départ de mon train pour Lille, j’ai tout le temps nécessaire au test de l’expérience proposée par ces appareils. 

C’est parti ! J’observe attentivement la machine. Elle ressemble à son ancêtre avec son affichage physique des produits et la présence des fameuses spirales. Je grince légèrement des dents, mon point de souffrance fantôme est toujours là (je m’en serai bien passé). Le prix des produits est peu visible. Oh ! Première bonne nouvelle, le distributeur permet le paiement sans contact ! Je n’ai pas particulièrement faim, ni soif, j’ai surtout envie de tester l’expérience tactile de la machine. De plus un rafraichissement ne me fera pas de tort.

Premier contact avec l’écran, c’est la douche froide.

Forcément, mes expériences précédentes impactent mes attentes avec ce nouveau modèle. Attentes qui sont plutôt élevées sur le niveau d’excellence de l’interaction, ce qui explique en partie la douche froide. Premier geste, sortir de veille. Un geste qui peut paraitre anodin, mais qui dissimule déjà les problèmes qui vont s’enchainer. Premier écran utile pour mon achat et déjà, le sentiment de me retrouver su un site web e-commerce ou drive me parcourt le corps comme un choc électrique. La complexité de lecture et le temps nécessaire à l’acte d’achat ne vont pas arranger ma satisfaction. Je passe de déception en déception à mesure que je tape sur l’écran.

Pour commencer, comme je vous le disais, il faut réveiller l’appareil du mode veille qui prend tout l’écran et donne des informations sur les paiements sans contact (des pubs aujourd’hui). L’écran de sélection se dévoile à la suite et mes yeux ne savent plus où regarder. Trop d’informations. Il y en a dans tous les sens, tous les produits ne sont pas immédiatement visibles, il y a des pastilles sur certains produits. Bref, première déconvenue.

Mes yeux tombent ensuite sur “mon panier” qui est vide… Il y a un panier. Pourquoi diable ai-je besoin d’un panier ? C’est un distributeur automatique, je ne fais pas mes courses…

Photo du haut : l’écran de veille qui contient dorénavant des pubs. Photo du bas : l’écran d’accueil de la machine

À gauche l’écran de veille qui contient dorénavant des publicités. À droite l’écran d’accueil de la machine

Je sélectionne au hasard un paquet de bonbons Haribo (oui, ça ne désaltère pas, et ce n’est pas une boisson. Je teste, voilà tout). Une popup s’ouvre pour me proposer (me vendre) un produit complémentaire. Je peux uniquement accepter ou refuser l’ajout à mon panier. Cette étape m’est complètement imposée !

J’annule le tout et je teste un autre produit pour vérifier que la proposition de produits complémentaire ne soit pas automatique pour chaque produit. Ouf, ce n’est pas le cas. J’ajoute un nouveau produit au panier et souhaite payer. Pas d’autres choix que d’appuyer sur le bouton “payer” qui m’emmène sur une autre page et me demande si je paye par carte ou en monnaie. J’avoue qu’à ce stade on touche le fond à mes yeux. Je m’interroge sur l’incapacité de la machine de détecter ma carte bleue ou mes pièces de monnaie comme le fait son homologue japonaise. Ou comme c’est le cas sur d’autres machines.

Il s’est écoulé plusieurs minutes et je n’ai aucune envie de donner mon argent à cette machine. Je suis passablement énervé par l’expérience m***ique proposée. Finalement, je me dirige, vers le point presse le plus proche et préfère passer par une caisse classique.

Débriefing

Si l’on sort du cadre de l’écran un instant, quelques éléments sont également intéressants à relever en termes d’expérience.

Le premier est le réceptacle qui est à hauteur de hanche. La préhension du produit s’en trouve facilitée ce qui me semble un avantage. 

Mais le positif s’arrête là. La position de l’écran et son inclinaison fait partie de ce que Selecta appelle “Un comptoir de vente ergonomique avec un écran de sélection tactile de 15’’. Selon mon opinion et mon expérience, l’emplacement de l’écran tactile ne prend pas en compte le contexte dans lequel il se situe. Certaines gares sont bondées, vous baissez les yeux sur l’écran presque de la même façon que sur votre smartphone, pour vous y engloutir et perdre la notion de ce qui se passe autour de vous. En faute, l’inclinaison, la surcharge d’information présente sur l’écran et la complexité du tunnel d’achat. Ma vision périphérique s’est rétrécie, je ne visualise plus mon environnement. Je ne suis pas serein. 

Plusieurs autres arguments sont présents sur le site de la machine (appelée “Move”). 

Un distributeur au design innovant et original

Original certes, design innovant… Mes expériences précédentes me font douter sur le caractère innovant vanté ici. 

Une grande vitrine éclairée par LED permettant une visibilité accrue des produits

Là encore, voilà une belle promesse. Mais dans le noir, on ne voit pas grand-chose à part le logo de la marque. Les produits ne sont pas si visibles que ça de jour comme de nuit. Ils prennent beaucoup de place, mais n’apportent pas grand-chose, sachant que leur prix est soit absent, soit présent, mais tellement petit que les parcourir est un calvaire.

En haut, photo prise en journée. En bas prise en soirée d’hiver.

Une machine à la pointe de la technologie et de la sécurisation

De la sécurisation, surement, je ne peux en juger. À la pointe de la technologie, sans concurrents à comparer peut-être, mais pas en face du modèle japonais d’Acure. 

Questionnement

Au regard de cette expérience, je m’interroge sur le processus de conception de la machine et de l’expérience digitale développée. J’ai du mal à croire que la recherche nécessaire à la conception ne soit pas passée à la trappe. Les problèmes rencontrés avec les modèles précédents ont-ils été identifiés et cartographiés ? Y’a-t-il eu des prototypes low-fi et de l’exploration de contexte des usagers ? Je ne peux me résoudre à croire que ce soit le cas. La majorité des points noirs que je cite ici auraient alors été gommés.

Sans mauvais jeu de mots, ce n’est pas la taille de l’écran qui compte. Elle trouve certainement son explication dans le contexte urbain, plus propice à la dégradation humaine dans nos régions qu’au Japon. Un petit écran ne signifie pas qu’une bonne expérience soit impossible. L’expérience ne se limitant tout simplement pas à l’écran. Finalement, je préfère même de loin le modèle analogique japonais à ce modèle “à la pointe de la technologie”.

Un nouveau départ ?

Le temps passe vite, nous voici déjà en 2020. À nouveau je suis attiré par un changement visuel sur une ligne de distributeur. Un écran est venu remplacer le pad de boutons physiques (comme vous pouvez le voir ci-dessous). Petit tour rapide de l’expérience sans aller dans les détails. Tiens, le produit complémentaire semble plus judicieusement inclus que sur sa consœur avec écran 15″. Plus aucun prix affiché par contre, je dois obligatoirement sélectionner le produit pour connaitre son prix… pratique n’est-ce pas. Mais le plus drôle, c’est que je peux même sélectionner un produit qui n’est plus présent dans la machine (comme le montre la photo). Je m’arrête là, j’ai du mal à percevoir la valeur qu’apporte ce changement. 

Quelle leçon en tirer ?

Aujourd’hui, les entreprises veulent tout digitaliser et le font souvent à mauvais escient, sans se poser les bonnes questions. C’est ça que je nomme la maladie de la tablette.

Alors que les questions à se poser devraient être :

  • Quelle est la valeur que j’apporte à mon client en passant au digital ? 
  • Comment la technologie va-t-elle me permettre d’être plus performant au service du client, sur le plan business, en matière de nouvelles opportunités.

Je me rends compte que j’ai peut-être une obsession pour les distributeurs automatiques. Pour moi, cela a commencé à l’entrée d’une piscine… Mais comment cette histoire a-t-elle réellement débuté ? J’emprunte la DeLorean au Doc et direction le passé…


Retrouvons-nous dans la dernière partie UX — Distributeurs automatiques, un voyage dans le temps. Partie 5 : Heron

Vous avez également utilisé une de ces machines ? N’hésitez pas à réagir en commentaires !