On fait souvent appel à un UX pour concevoir ou améliorer un service ou une interface, quelle que soit sa spécialisation.
Dans la plupart des projets, l’objectif est clairement identifié dès le départ et en découle le plan d’action.
Notre but commun : mettre l’expérience utilisateur au centre d’un projet.
Mais quid de l’expérience de notre client dans tout ça ? Celui pour qui nous réalisons le projet, que cache-t-il d’autre derrière son besoin ?
L’année dernière, j’ai eu l’occasion de collaborer sur un projet qui a beaucoup influencé ma façon d’aborder des problématiques, en y intégrant davantage le contexte du client.
Cela m’a permis de moduler mon approche au fil des échanges, et montré ce qu’il fallait travailler en amont pour résoudre les irritants, avant de proposer des outils digitaux liés.
Tout commence par une rencontre
Il faut faire quelque chose, parce que moi j’en peux plus. Je suis à bout
Commençait alors mon entretien avec Pauline (le prénom a été changé) responsable d’équipe, qui souhaitait un accompagnement en conception centrée humain sur son projet.
Imaginez ma mine interloquée, lorsqu’elle me détaille l’historique de sa situation professionnelle actuelle, là ou je m’attendais à un brief fonctionnel.
Bien que les cadrages commencent souvent par l’énoncé du problème à résoudre, on a peu l’habitude dans nos métiers de commencer par des problèmes uniquement « humains ».
J’avoue qu’à ce moment précis, je ne sais plus trop si on se rencontrait dans un cadre de prise de brief, ou si elle avait juste besoin d’une oreille neutre à qui se confier.
Après 1 h d’échange, nous récapitulons son besoin : créer un outil qui lui permettrait d’organiser ses flux de commandes, simplifier les échanges, pour se dégager… du temps à plus forte valeur ajoutée !
Ses principales sources de stress : une accumulation de petites tâches « ingrates » tracées sur des bouts de papier, des processus internes répétitifs et inutiles, l’impression d’être le « bureau des plaintes » pour clients mécontents qui subissent une mauvaise organisation du service, etc., etc.
Bref, des tâches répétitives et évitables qui polluent ses journées de travail et l’empêchent de s’épanouir dans son métier.
Notre entretien se termine par une demande claire : digitaliser la plupart des processus automatisables, pour enfin la laisser « faire son job correctement et de façon épanouissante ».
Lui faciliter la vie, en gros.
L’interface ici n’est pas proposée comme l’unique solution à son problème, mais comme une partie de l’amélioration du processus.
J’avais un double enjeu sur cette mission : redonner le sourire à Pauline, mais aussi montrer à ses responsables que ses irritants professionnels la poussaient à bout, humainement.
Il fallait leur expliquer que la démarche d’analyse de son expérience avait un réel sens métier dans le processus global. Nous avons donc mis en place une phase de recherche basée sur l’observation des faits, qui servira de base solide à la conception du projet.
1/ Identifier les irritants
1.1/ Observer & ressentir
Afin de comprendre ses journées, j’ai commencé une période d’observation en « shadowing » au sein de son service
Se plonger dans la réalité de l’utilisateur est le meilleur moyen de comprendre ce qu’il vit et ressent à une période donnée.
Le constat est sans appel : Pauline ne peut se consacrer pleinement à une tâche sans être sans arrêt dérangée par des questions internes ou clients, évitables avec une meilleure organisation. Son niveau de stress est au maximum et elle cumule du retard dans ses « vraies » attributions.
1.2/ Relever les points de blocage
L’observation terminée, nous mettons en place un atelier « Journey map » pour cartographier sa journée de travail type et poser les irritants.
La Journey map permet de cartographier le parcours existant de l’utilisateur avec ses besoins, ses ressentis et les axes d’amélioration.
La map est découpée en grandes étapes, toutes composées : d’actions, d’interlocuteurs, d’émotions et verbatims, pour terminer sur les améliorations envisageables.
Nous répétons l’exercice avec les membres de l’équipe de Pauline, afin d’identifier leur périmètre et de croiser les irritants.
Cette cartographie m’a montré que leurs journées étaient ponctuées par des petites tâches, insignifiantes individuellement, mais très chronophages et inutiles dans une seule et même journée.
De plus, nous en avons dégagé un manque d’uniformisation des processus : un collaborateur doit jongler entre plusieurs interfaces pour un même besoin. Du coup, chacun a sa petite technique bien à lui pour rassembler toutes les informations indispensables à la réalisation de sa journée (bloc-notes, postit qui se perd, impressions à tout va…)
Et ne parlons pas de la transmission des informations en cas d’absence… non vraiment, n’en parlons pas… 🤦🏻♀️
1.3/ Et maintenant, qu’est-ce qu’on en fait de tout ça ?
La restitution des éléments est, pour moi, la partie la plus complexe dans l’identification des irritants. Il faut savoir laisser son empathie au placard le temps de la rédaction d’un Keynote et restituer les faits de façon objective.
Même si j’avais à cœur de faire comprendre le malêtre de Pauline à ses responsables, je me devais de rester neutre dans la hiérarchie des irritants et de proposer une solution pour elle, en accord avec la vision de son entreprise et de son pôle.
2/ Transformer l’essai et établir un plan d’action.
2.1/ Présenter le domaine d’intervention
Expliquer une démarche centrée Utilisateur se fait assez naturellement lors d’une restitution. Cela permet de montrer notre façon de travailler, de rassurer un client parfois dubitatif, de s’assurer qu’on est en phase, mais aussi d’introduire le sujet à présenter.
C’est encore plus intéressant quand on parle d’expérience collaborateur, car nous sommes alors identifiés comme des transmetteurs d’informations en toute neutralité.
2.2/ Donner du sens à la démarche pour l’entreprise
Une des parties importantes de cette restitution consistait à faire correspondre les solutions d’améliorations envisagées, avec la vision, mais aussi le budget de la cellule concernée.
Lorsque l’on expose des faits, savoir défendre ses propositions fait partie du jeu. La phase d’observation m’a permis de restituer les points de blocage de façon factuelle, les ayant moi-même vécus. La Journey Map m’a permis, quant à elle, de communiquer visuellement et concrètement les irritants dans le parcours actuel.
2.3/ Et maintenant, qu’est-ce qu’on en fait de tout ça ? (Bis)
La restitution termine sur un plan d’action en 2 phases :
Phase 1 / à court terme :
- Une solution concrète d’amélioration (ici, une interface pour centraliser une bonne fois pour toutes les informations et échanges pour tous les intervenants du processus et réduire les aller-retour inutiles).
- Une journey map permettant de diffuser les irritants supprimés avec la nouvelle interface.
Phase 2 / Long terme :
Une fois la solution mise en place, il faudra cartographier une nouvelle journée type pour identifier les améliorations, et voir comment on peut supprimer le reste des petites tâches chronophages et inutiles qui viennent polluer le reste de l’organisation.
Le projet peut alors commencer, rendant à Pauline la pêche sur la suite !
3/ La suite, en quelques mots …
Vu l’investissement de Pauline tout au long du projet, il était normal de l’intégrer également dans la phase de construction de l’outil.
Mettre l’Humain au centre du processus de création, ce garde-fou.
Nous avons beaucoup échangé sur les besoins de l’équipe et avons continué sur notre lancée de co-construction, en itération. L’idée ici était de concevoir des maquettes et de les tester en prototypes pour vérifier que tous les parcours étaient réalisés.
L’équipe s’est renforcée et un MVP est sorti dans la foulée. Pour des raisons de budget, le MVP n’a pas évolué.
Mais Pauline a eu un regain de dynamisme, car elle s’est sentie écoutée et surtout, comprise.
Le mot de la fin …
La démarche « centrée utilisateur/collaborateur/client » mis en place avec Pauline s’est matérialisée par un accompagnement tout au long du projet.
Nous avons créé une véritable relation de confiance et chacune des décisions était challengée pour répondre au mieux aux attentes collaboratrices, mais aussi, à celle de l’entreprise.
Personnellement, j’ai adoré travailler sur ce sujet !
C’était la première fois que j’intégrais le contexte du client avec ses ressentis, donnant un réel sens à ce projet.
La problématique de Pauline m’a donné une vision encore plus large du champ des possibles. Que notre domaine d’intervention n’est pas que du relevé de données ou de la production de livrables, que c’est à nous de lui donner du sens prenant en compte les émotions de toutes les parties prenantes.