Louise, Product designer UI/UX Ineat Canada
Salut Louise, est-ce que tu peux te présenter et nous parler de ton parcours ?
Salut Jérémie ! OK, c’est parti ! Je m’appelle Louise, je suis née à Lens. J’ai beaucoup déménagé dans toute la France (à peu près tous les 2 ans depuis que je suis née) donc même si c’est ma région de cœur, je ne suis pas attachée spécialement à un endroit géographique.
Je suis Product Designer UX/UI chez Ineat depuis le mois de novembre 2019. À l’origine j’ai fait une formation de 5 ans à l’institut Supérieur de Design de Valenciennes de designer industriel, produit et services. C’est par la suite que j’ai été amenée à faire de l’UX.
Et qu’est-ce qui t’a poussé dans cette voie ?
Pourquoi ai-je fait du design à la base ? J’ai fait du design car je voulais un métier qui me permettait d’être utile aux gens. D’ailleurs avant de faire du design, j’ai fait 3 ans de droit. Cela ne me plaisait pas du tout, mais c’était la version plus conventionnelle de « j’ai envie de faire un métier pour aider les gens ». J’ai beaucoup ressenti un manque de créativité, ça ne me convenait pas du tout, c’était beaucoup trop strict. Par contre, ça m’a, merci, apporté beaucoup. Une certaine culture, un esprit d’analyse et de rédaction qui me servent encore aujourd’hui.
Donc voilà, le design industriel mariait bien la sécurité d’un côté. Comme c’est pour l’industrie, on t’apprend des normes, on te donne des méthodologies et c’est cadré. Et de l’autre côté, c’est extrêmement créatif. Au cours de mes études, je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait c’est l’expérience utilisateur en général, le design thinking…
Et puis, vu le milieu du design industriel actuel, soit je me retrouvais à faire des produits avec des expériences qualitatives respectueuses de l’environnement ou tout ce que je peux souhaiter d’autre. Mais cela ne serait au final utilisé que par une minorité, ou même cela ne resterait la plupart du temps qu’à l’état d’étude. Ou je décide de faire des produits pour la grande consommation, mais par conséquent qui n’étaient ni éthique, ni ne répondait vraiment à un besoin essentiel.
Les grandes industries en intégré, je tire un peu le trait, mais on peut te demander de refaire le même produit que l’année précédente avec une esthétique différente et qui coute moins cher, parce que le moule coute moins cher. Beaucoup de designers industriels font ça extrêmement bien et je suis admirative de ce qu’ils font. Sur le plan technique c’est très difficile et challengeant d’être capable de faire ça.
Voilà, ça ne me correspondait pas. Je me suis donc orienté vers l’UX qui me permet d’être innovant à moindre cout, évidemment il y a des frais engagés, mais tu peux avec de grandes idées et peu de moyens réaliser des choses assez incroyables. C’est notamment une force des interfaces. Voilà pourquoi je me suis tourné vers l’UX finalement.
Tu ressens une liberté de contraintes techniques et de matériaux avec l’UX, le design de produits digitaux ?
Il y en a aussi, c’est juste qu’en matière d’expérience, dans le numérique, la différence est moindre, je pense, entre une expérience qui a beaucoup de financement et une qui n’en a pas énormément. Tu veux faire un produit industriel hardware physique, là la différence d’avoir une grande capacité financière ou une petite capacité financière sera vraiment énorme.
Même un produit considéré comme/cheap/, les gens ne se rendent pas compte que c’est l’unité de production qui influence sur le prix. Même un produit très/cheap/en plastique, à l’unité coute cher. C’est le fait de faire un moule qui coute une fortune. C’est un investissement sur lequel tu ne vas pas revenir. On a la chance de pouvoir créer des expériences digitales hyper innovantes et vraiment intéressantes en expérience, mais sans forcement investir des frais qui sont aussi significatifs que dans un produit physique.
Donc pour revenir à ta question, ce ne sont pas forcément les contraintes techniques c’est plus sur l’aspect financier et du coup terrain de jeu. Il y a énormément de choses qui n’ont pas encore été faites, explorées. On a de plus en plus de technologies et de support. Alors, oui, nos expériences dépendent du hardware, elles se retrouvent à l’intérieur d’écrans, de téléphones, ordinateurs…
Avant j’étais chez Renault, et la voiture était un élément avec lequel je travaillais, où on sait qu’il y a le contact de la conduite et autour, mais je trouve que c’était un terrain de jeu assez cool.
Si tu devais me décrire ce qui te plait le plus dans le domaine de l’UX ?
Ce que j’aime vraiment bien c’est l’aspect humain et recherche aussi. Quand on arrive à être suffisamment dans l’amont d’un projet pour que le client nous pitche l’idée et qu’on doit l’accompagner dans la concrétisation de cette idée. On va ensuite avoir ce travail d’équipe en croisant de la recherche et les forces disciplinaires de chacun. Les connaissances du client, nos connaissances et méthodologies pour arriver à embarquer un projet intéressant et innovant et surtout y apporter de la plus-value.
Cela passe vraiment par faire la recherche utilisateur, bien connaitre son utilisateur, tester et retester, c’est vraiment ça qui me botte le plus dans ce qu’on fait.
Est-ce que tu as une devise, un motto que tu pratiques ou que tu te répètes au quotidien ?
Je ne suis pas sure de comprendre la question (rires). Je ne pense pas…
Ah ! Si la seule chose c’est que j’essaye, dans la mesure du possible, c’est de ne jamais avoir une idée préconçue de ce qu’on va répondre. Ce qui est parfois difficile. Luter contre ma vision préconçue de ce qu’on pourrait faire. Parce que je pense que si l’on arrête d’écouter de manière qualitative le client ou aussi les personnes non-designer parties prenantes du projet on se plante. Souvent ce sont eux qui lâchent une info et ils ne se rendent pas compte de la valeur qu’elle apporte. Si tu as les oreilles grandes ouvertes, en général c’est là que tu parviens à tirer le meilleur parti des personnes qui se trouvent autour de toi. J’essaye de faire ça dans la mesure du possible.
Qu’est-ce qui t’inspire dans ton quotidien ?
Je suis très très admirative du travail fait chez IDEO et Frog. Je lis beaucoup leurs études. Donc forcément, des personnes qui m’inspirent : David Kelly, Tim Brown. Ce n’est pas la jeune génération sur certains plans, mais ils continuent à mettre en avant des designers qui ont de grandes idées et de bonnes manières de travailler. Je continue de manière très assidue à lire leur publication et je suis sensible à leur vision du design. Dans chaque évènement ou tendance de société, ils arrivent toujours à rebondir et extraire des choses intéressantes et qui peuvent nourrir nos réflexions à nous aussi.
Toute la méthodologie contemporaine découle de leurs expériences et je pense qu’ils ont gardé cet œil ouvert. Ils continuent à grappiller des choses et à faire des hypothèses. Ce sont presque nos scientifiques du design ! Ça reste hyper inspirant cette manière de penser. Je sais qu’à l’école on m’avait dit : “quand tu veux créer un projet ou faire quelque chose, la meilleure chose c’est d’ouvrir le journal.” Tu en prends un, tu lis les articles, et c’est là que tu vas trouver un truc intéressant sur lequel travailler. C’est juste qu’on oublie, on a parfois tendance à penser que le design c’est quelque chose de superficiel, esthétique. Les gens en général voient ça comme ça, mais on est en fait nourri par tout ce qui se passe dans la société.
Chez Ineat, quel a été le meilleur projet à ce jour ?
J’ai eu plusieurs projets, mais définitivement, c’est celui ou j’ai eu la chance de travailler avec OPEN CITY en design sprint remote. Notre travail leur a permis de trouver les investissements nécessaires à la poursuite de leur projet. On est vraiment content que ça ait marché pour eux. Nous allons pouvoir continuer de les accompagner. C’est une belle équipe motivée, qui se donne à fond dans ce qu’ils font et je suis contente pour eux, aussi à titre personnel.
C’est aussi ce projet qui m’a permis de montrer à Ineat qui j’étais en tant que personne.
C’est une grande chance vu l’échelle de l’entreprise. On te laisse un peu créer ton poste. C’est un peu bizarre ce que je dis, mais c’est vrai. Il y a des choses qu’on attend de toi, ton cahier des charges en quelque sorte. Mais tu peux avoir envie d’aller plus dans une direction et si ça fonctionne on te laisse le développer.
En dehors de son succès, c’est un projet qui m’a ouvert pas mal de perspectives chez Ineat et qui fait que je me sens bien ici. C’est un projet important pour moi.
As-tu déjà vécu des situations problématiques dans des projets ? Et quel conseil peux-tu donner pour en sortir ?
Oui, je pense que ça arrive presque dans tous les projets ! Après, tout dépend de ce qui bloque. Il ne faut pas oublier qu’on est là pour accompagner. C’est toujours très compliqué cette distanciation qu’on doit avoir avec le fait que c’est à la fois notre projet et à la fois pas notre projet. Lorsqu’on réalise des accompagnements comme ça, il faut pouvoir accepter que le client n’aille pas forcément prendre la meilleure décision.
Il faut être capable de l’accompagner et de lui dire si vraiment on est persuadé qu’il fait un mauvais choix. C’est notre job, on est payé pour ça. On doit être capable de lui dire et aussi d’accepter qu’il aille à contrecourant de ce qu’on lui conseille.
Je bloque très rarement sur un projet, du coup quand je vais voir un client et que je lui dis « vraiment à 200 %, je ne ferai pas ça », il a tendance à y réfléchir et à essayer de chercher une solution alternative. Évidemment, il faut toujours justifier ton point de vue et c’est là où tout l’apport méthodologique est important, je pense. C’est à dire, plus on arrive à embarquer le client tôt avec des étapes de décisions claires et moins on arrive dans ce genre de situation. Parce que quand tu arrives à un point de friction, si tu as la capacité de lui montrer comment on est arrivé là et pourquoi on a peut être ou pas négligée une partie, pourquoi on revient sur une partie sur laquelle on a échangé précédemment, ça aide. C’est ce genre de choses que j’utilise. C’est pour ça qu’en ce moment on inclut des outils comme Miro ou Mural de manière permanente dans nos accompagnements clients. Ça nous permet de garder une trace, une ligne du temps des décisions. Pour permettre de montrer au client ces traces et le moment donné où on a pris cette décision et pour quelle raison !
Après il y a aussi les gouts et les couleurs, il faut accepter que parfois tu n’aies pas gain de cause et c’est tant pis. À partir du moment où tu as réussi à transmettre au mieux et à dire au client qu’il fait ce choix à l’encontre de notre conseil, le job est fait.
As-tu déjà vécu le syndrome de l’imposteur ?
Oui je crois que tout le monde a ça. Je ne suis pas designer UX de diplôme et je garderai un souvenir toute ma vie quand je suis entré en entretien chez Renault et que je disais au chef du studio : « mais vous êtes certains. Je n’ai pas de formation design ux et je ne sais pas conduire, alors travailler chez Renault ce n’est pas forcement le poste le plus évident à la base pour moi ».
Ce qui est drôle c’est que j’ai ce syndrome avec mes pairs uniquement, mais pas avec mes clients. Je sais que je suis capable d’apporter à un client, j’ai les compétences et les méthodologies. Face à mes pairs, c’est plus compliqué, j’ai l’impression que c’est une forme d’admiration, de ne pas avoir encore fait assez de chemin pour me prétendre designer ux, même si c’est ce que je fais tous les jours, donc je dois l’être quelque part. (rires)
Y’a-t-il une citation que tu aimes particulièrement ?
Oui ! C’est Tim Brown qui l’avait dit : « échouer tôt pour réussir vite ». Je l’aime bien. Elle est très très juste, je pense, et à la fois libératrice pour le designer et pour le client. C’est un peu le concept du design sprint aussi. Si tu fais une itération rapide, au final même si on te dit ce que as fait est nul, au moins tu l’as su tôt et tu n’as pas engagé trop d’argent. Souvent les idées qui cogitent et qui ne sortent pas ce sont celles qui font perdre le plus d’argent.
Souvent les idées qui cogitent et qui ne sortent pas ce sont celles qui font perdre le plus d’argent.
Si tu ne mets pas ton nez dehors tu as beaucoup de chance de te planter, d’être à côté de la plaque ou d’avoir un concurrent qui passe vite devant. Donc oui, échouer tôt pour réussir vite, je pense que c’est un bon adage. Une bonne manière de présenter les tests utilisateurs auxquels je crois énormément.
Si tu devais recommander un livre à quelqu’un qui débute dans le design ou qui s’y intéresse ?
« Creative confidence » de Tom et David Kelly. C’est un livre que j’aime bien parce que ce n’est pas un livre pour designer déjà. Même si beaucoup de designer, de créatifs l’ont lu. Je pense que c’est un livre très libérateur. On parlait du syndrome de l’imposteur, je pense qu’il est fortement générationnel et qu’il est surtout vrai chez les créatifs car on a la dure tâche de se faire juger pour qui on est en permanence, comme ici où l’interview est très personnelle.
Creative confidence est vraiment libérateur, car il explique qu’être créatif c’est toute la partie innée et acquise. En se nourrissant de ce que tu vois, de ce que tu connais et de ce dont tu apprends que tu peux être créatif. En étant confiant dans le fait que tu peux l’être et qu’avec de la méthodologie, tout le monde peut l’être, dans tout type de métier, de situation.
Et c’est vrai qu’il faut l’être, on vit, nous au quotidien le fait d’être créatif sur demande. Ce qui est quand même un concept en soi. C’est assez bizarre, c’est comme si tu allais voir un peintre et que tu lui demandais « peins-moi un chef-d’œuvre là maintenant » et puis il faut que tu le fasses en huit heures, parce qu’on budgétisé huit heures. Aussi il ne faut pas que ce soit tout à fait comme la fois d’avant, dans ce cadre-là et ça doit représenter ceci. Un exercice pas évident comparé à d’autres métiers artistiques.
Creative confidence est également plein de bonnes réflexions sur ce genre de choses.
https://www.creativeconfidence.com/chapters/
Une bonne lecture en perspective ! Je confirme ! Y’a-t-il une chose dont tu ne peux te passer au quotidien ?
C’est pour le boulot ou… (rires) *à toi de voir ce dont tu as envie de partager !
Pour le boulot, c’est un carnet avec feuille à point et un liner. Sans ça je ne peux pas travailler. Autant le reste, je pourrai. Je fais partie de ces gens qui ne retiennent rien s’ils n’écrivent pas. D’ailleurs je viens de finir le premier depuis que je suis ineat, je suis à la dernière page !
Pour terminer y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée et que tu aurais aimé que je te pose ?
Euh… non (rires) je réfléchis…
Peut-être. Tu m’as demandé ce qui m’inspirait et j’ai répondu dans le design, mais j’aurais pu répondre aussi en dehors et je ne l’ai pas forcément fait. Des influences qui me parlent, c’est le jeu vidéo. Une grosse source d’inspiration pour moi. Je ne joue pas mal sur plein de plateformes différentes. En ce moment, je joue à/Animal Crossing/par exemple. C’est hyper intéressant des jeux comme ça qui ressortent et de voir ou l’effort a été mis. Ils ont fait un super effort dans l’expérience utilisateur. Ce qui m’intéresse c’est autant tout le système de récompenses qu’il n’y avait pas dans les autres et la manière dont est conçue l’interface et l’augmentation de la gamification. Beaucoup d’éléments sont transposables dans des applications ou sites. Des bonnes idées !
Une des raisons pour lesquelles Montréal était une destination qui m’intéressait c’est aussi pour le jeu vidéo. Un domaine dans lequel je travaillerais peut-être plus tard dans ma carrière. Il y a beaucoup de choses intéressantes et c’est un terrain de jeu différent du nôtre, mais duquel on peut se nourrir à mon sens.
Un tout grand merci Louise pour ce partage.
Je t’en prie avec plaisir. À bientôt !